Depuis plusieurs années, en marge du duo qu'elle forme avec Borja Flames, Marion Cousin recueille et chante des chansons traditionnelles de la péninsule ibérique, cherchant parmi les précieux enregistrements des ethno-musicologues, arpentant dans les bibliothèques les rayonnages dédiés au folklore, et collectant elle-même des chansons au cours de ses voyages.
Pour donner à entendre ces chansons sur un autre territoire et dans un autre temps, elle choisit de s'accompagner de musiciens issus de la musique moderne, et presque étrangers à ces folklores, à leurs langues, leurs rythmes et leurs sonorités. C'est ainsi qu'elle propose le premier de ces enregistrements – qui aborde la péninsule par ses îles – au violoncelliste Gaspar Claus, tisseur de ponts entre musique savante et populaire, amant du brouillage des frontières, et néanmoins oreille familière aux sonorités ibériques en raison de sa naissance pyrénéenne et de ses accointances avec le flamenco (Pedro Soler, Inés Bacán).
Improvisées et composées dans le temps de l'enregistrement, les parties de violoncelle viennent porter le chant, l'envelopper, ou le suspendre et le déplacer, pour tantôt rappeler et tantôt renverser le cadre originel de ces paroles et mélodies anciennes chantées en Minorquin et en Majorquin.
Jo estava que m'abrasava, par Philippe Crab
« Au fil des jours, les hommes et les femmes des Baléares ont accompagné leurs travaux et leurs loisirs d’une multitude de chants. C’étaient des airs qu’on fredonnait sans trop y penser, qu’on entendait sans avoir à les écouter, des chansons d’allure simple, tendres et graves, comme mêlées à un paysage et à une vie : des célébrations élémentaires, quelques mots et notes sur l'aube qui vient, sur la montagne minuscule qu’on aperçoit au loin, sur l’arbre qui refleurit encore, des histoires d’amour éternelles, avec leurs rois déraisonnables, leurs mères cruelles, leurs doux amants.
Marion Cousin a recueilli certains de ces chants anciens, "traditionnels", souvent fredonnés mais rarement enregistrés. Sans souci d'exhaustivité, son choix s'est porté sur quelques chansons qu'elle avait particulièrement aimé chanter à son tour. Il faut dire que sa voix se prête aux résurrections : grave et chaude, tour à tour tendre et âpre, douce puis suppliante, souverainement fragile, elle fait résonner et retend le fil du temps sans avoir besoin d’exhiber une éreintante technicité, ou le moindre maniérisme.
Marion a convié Gaspar Claus, non pour habiller ses a capella, ils n’en avaient pas besoin, mais pour nouer avec lui un fascinant dialogue musical, à l'image de celui que l’homme entreprend toujours avec ce qui l’entoure et le déborde. Le violoncelliste, par des bourdons de quinte, de lents arpèges, quelques pizzicati passés dans une saturation, nous restitue la terre, le ciel et le temps devant, dedans lesquels les hommes travaillent, rient et pleurent, vivent et meurent, chantent.
Disque débarrassé donc de toute virtuosité inutile, de toute production superflue qui, à force d’artifices, détruiraient l’art. De cette double sobriété naît une ivresse irrésistible. L’auditeur oubliera vite la provenance de ces romances et chants de travail, Minorque ou Majorque, ne se préoccupera guère de les dater précisément. Il entendra un chant humain des plus poignants, surprendra le sacré naissant du quotidien sans qu’on y pense, sans qu’on cherche à le convier, comme un premier jour, comme une première fois. »
"Voix sans âge et comme en stupeur de Marion Cousin, qui imprime par micro-tons d'étranges visions, ressac violent, cru, pierreux, de Gaspar Claus, on pénètre à travers ce répertoire dans les légendes dures des terres bordées de mer. C'est un isolement de fer, guetté par la tourmente et adouci seulement par des mélodies d'origine perdue, vierges ritournelles redites jusqu'au vertige et dont la faible lumière, vacillante mais tenace, vaut tous les soleils." LES INROCKS
"Magistral et intemporel" FRANCE CULTURE
Les Disques du Festival Permanent / Label Le Saule